La vie, l'humour

Le paradis

 

Peut-on fumer au paradis ?

Certainement, c’est interdit.

C’est déjà difficile sur terre,

Alors chez Dieu, le vendredi,

Le régime est bien sûr plus sévère

Et l’on n’inhale que mystères.

 

Mais si la Vierge, au paradis,

A chaque fois que s’enhardit

Un fumeur, s’évanouit et s’enrhume,

En vérité, je vous le dis,

J’irai voir en enfer si l’on fume

Et si le diable enfin m’allume.

 

A quoi ressemble un paradis

Si les cigares sont maudits ?

Et s’il faut allumer en cachette

De tous les saints, comme un bandit,

Ses jolies et damnées cigarettes ?

S’il faut aller dans les toilettes ?

 

Mais le dimanche après-midi

Que fume-t-on au paradis ?

De l’encens, comme un prêtre à la messe ?

Quand je serai mort et raidi

Faudra-t-il, de fumer, que je cesse ?

Cette question vraiment m’oppresse.

 

Car son index vers moi brandi,

Mon médecin me l’a prédit :

L’auréole à ma tête se penche

Et vêtu d’une belle aube blanche,

Et du tabac dans chaque manche

J’irai fumer au paradis !

 

 

Les résolutions

 

Chaque nouvel an, je fais la promesse

De changer de la tête aux pieds,

Comme un pénitent qui sort de confesse

Et qu’on a rudement châtié ;

J’ai tant de défauts à faire oublier !

Et je me repens et me morigène,

Je promets que l’année prochaine

Je m’assagirai pour ma rédemption

Et vivrai de façon moins vilaine.

C’est pourquoi je prends des résolutions.

 

Et pour commencer par quelques faiblesses,

Je verrai, chaque mois, le barbier ;

Puis je nettoierai cette crasse épaisse

Qui remplit mon logis tout entier            

Et qui le transforme en un vrai charnier ;

Je ne boirai plus que l’eau des fontaines

Car mon foie a beaucoup de peine ;

De fumer, bien sûr, il n’est plus question

Si je veux conserver mon haleine,

C’est pourquoi je prends des résolutions.

 

J’achèterai même une grosse caisse

Qui pourra le matin m’éveiller

Car je dois secouer ma grande paresse

Et partir, chaque jour, travailler ;

Il faut bien qu’enfin je paie mon loyer !

Et je cacherai, les fins de semaine,

Mon argent de peur que le prennent

Les filles de joie, ma désolation,

Mon bonheur, mon ivresse malsaine...

C’est pourquoi je prends des résolutions.

 

Vous ne croyez pas ces calembredaines,

Et tenez ces promesses pour vaines ?

Vous connaissez mal mon obstination :

Chaque année ces idées me reviennent,

C’est pourquoi je prends des résolutions.

 

 

Bacchanale

 

A boire, à boire, Oh là ! Servez-moi donc, enfin !

Versez-moi de la bière et versez-moi du vin !

Percez tous les tonneaux et toutes les barriques !

Je veux boire la France et toute la Belgique,

Et l’Amérique encore ! Oh là ! Par Dieu, du rhum !

Qu’on remplisse mon verre en sabrant un magnum.

Je veux que l’eau-de-vie dans ma gorge s’écoule,

Je veux de l’hydromel, du calvados, du Houlle,

Du malt - du douze ans d’âge - et de la tequila ;

A boire, par Bacchus, vite, à boire, Oh là là !

 

Qu’une vierge vêtue d’une feuille de vigne

Me tire du bon vin au moindre de mes signes ;

Et qu’une autre, montée pieds nus dans un pressoir,

Fasse en dansant jaillir le jus des raisins noirs !

Femmes ! Si j’étais Dieu, de vos grosses poitrines,

Jaillirait non du lait mais quelque vieille fine,

Et de vos ventres ronds, chaque nouvelle lune,

Sourdrait de l’abricot ou de la bonne prune,

Qu’en prière, à genoux, je m’en irai lécher...

Et je vous aimerai, sous vos jupes caché.

 

J’ai bu tous les châteaux, les coteaux, les cépages,

J’ai bu des champs entiers de houblon et - je gage -

Vingt mille hectares d’orge écossais, fort âgé ;

Et j’ai bu des pommiers, des pruniers, des vergers,

Des pêches bien sucrées, de folles mirabelles,

De l’herbe de bison de la steppe éternelle,

De la gentiane aussi, des cidres par milliers,

Des élixirs de moine et des jus de sorcier,

Et tous les tord-boyaux qu’on fait sur cette terre

Et la goutte, surtout, de mon défunt grand-père

Qui, d’un vieil alambic perlait à petit bruit.

Un jour même au Japon, je crois, j’ai bu du riz...

 

Je ne finis jamais de boire, je titube,

Et ma bouche, en chantant, cherche encore un bon tube ;

Mon visage a fleuri, je bafouille mes mots,

Mon foie est un forçat qui souffre mille maux

Mon patron me maudit, mon banquier désespère,

Je vis dans une étable où je dors solitaire,

Et comme un bienheureux, un clochard, un Jean-foutre,

Comme une éponge, un trou, comme un bœuf,

 comme une outre,

Comme un prince ruiné, décadent, aux abois,

Et comme un vrai poète, ô mes amis, je bois !

Et quand je paraîtrai, bientôt, devant le Juge,

Je lui dirai : « C’est toi qui voulus le déluge ! »

Je mourrai magnifique et saoul de ce vin-là

Que j’aime plus que tout. Vite à boire, oh là là !

 

 

 

Vocation

 

De quelconques murs,

Un plafond en dur,

Un bon lit, du chauffage, une armoire

Suffiront bien à mon histoire.

 

S’il faut travailler,

Je veux du papier

Pour écrire parfois une page

Qui soit enfin du beau langage.

 

     Peut-être une femme

Soignera mon âme,

Mais je suis un amant si distrait

Que je ne vis que de regrets.

 

     Plutôt une bière

Saura la première

Inspirer à mon cœur, une fois,

Quelque beau vers qui soit de moi !

 

 

A mon cambrioleur

 

Me rendras-tu, cambrioleur,

Mon amie et ma bonne servante,

Que j’aimais, si petite et si lente,

Qui suffisait à mon bonheur ?

 

Tu pénétras dans ma tanière

Tu violas mon logis pour voler ;

Tu trouvas, en fouillant, une clef

Qui flamboyait dans la poussière.

 

Et tu ravis ma liberté,

Mes départs sur les routes de France,

Quand mon cœur ronronnait d’espérance

 Et s’enivrait d’immensité.

 

Tu me laissas, drôle stupide,

Mes conserves, mes nouilles, mon pain ;

Je t’aurais pardonné d’avoir faim

Et de remplir ton ventre vide.

 

Tu dédaignas, triste inconnu,

Mes chandails qui gisaient dans ma chambre ;

Je comprends qu’on ait froid en décembre

Et qu’on s’affole d’être nu.

 

Tu pouvais prendre un manuscrit ;

J’aurais dit : «  Voilà donc un lecteur,

Gardons-nous de changer son humeur

Puisqu’il veut lire mes écrits ».

 

Mais tu volas, affreux bandit,

Ma vaillante et fidèle voiture,

Ma compagne de tant d’aventures,

Et mon vaisseau de paradis.

 

Je te maudis, cambrioleur,

Brûle donc dans les forges du diable

Et connaisse une fin pitoyable,

Vulgaire idiot, vilain voleur !

 

 

 

 

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :