Le testament
Le testament
Je ne sais d’où me vient ce message funeste :
D’un instinct qui gémit de rester prisonnier,
De mon cœur qui bat dans le vide et proteste,
De mon génie qui se refuse à s’ennuyer ?
Chaque soir, vers minuit, quand les bars sont fermés,
Quand il faut me coucher, que ma chambre est prête,
Je m’accorde un instant pour boire et fumer
Un dernier verre, une dernière cigarette.
Paresseux, je médite, je bois et j’attends
Quoi ? Rien... Le sommeil ou la lourde ivresse ;
Je me dis que j’aurai bientôt quarante ans
Et que s’épuisent les talents de ma jeunesse.
Qu’ai-je fait d’ailleurs de mes belles années ?
Je n’ai rien à montrer que des pages vides,
Des enfants avortés et mon âme étonnée
De vivre encore après chacun de mes suicides.
Puis je songe à ce jour banal qui s’achève
A ma vie qui coule sans but et qui fuit ;
Et j’essaie vainement d’inventer quelque rêve,
N’importe quoi, qui m’étourdît pour une nuit.
C’est alors que revient cette angoisse horrible,
Cette voix qui paraît de l’enfer surgir
Ce démon qui me voit et m’appelle, invisible
Et me prévient que cette fois, je vais mourir.
Bien sûr ! Je vais mourir... Cette nuit, tout à l’heure
Mon cœur s’arrêtera soudain dans mon sommeil
Et l’on entendra plus que mon vaillant réveil
Continuer son tic-tac dans ma close demeure.
Alors je ne serai qu’une viande rigide,
Reposant sur un lit et couverte d’un drap,
Froide, immobile, dure et que nul n’entendra
Mourir, et mon cerveau se remplira de vide.
Je crèverai caché, comme un fauve blessé,
Comme un loup dans son trou qu’épuise la souffrance
Comme un vieux sanglier qui n’a plus d’espérance
Et qui sent qu’un grand froid vient le paralyser.
Mais j’aurai peur, tout seul, quand viendra le moment,
Quand le fantôme noir entrera dans ma chambre,
Viendra jusqu'à mon lit, me saisira les membres
Et me poignardera silencieusement.
Qui pourrais-je appeler au secours si je meurs ?
Il faudrait que quelqu’un m’aide pour le voyage,
Me dise : « Je suis là », me donne son courage
Quand la mort posera sa glace sur mon cœur.
Horreur ! Je vais mourir... Qui pourrait m’assister ?
O Dieu, grand Dieu d’amour et de miséricorde,
Maintenant que l’angoisse en mon âme déborde
Si seulement, hélas !, tu pouvais exister !
*
Je n’aurai jamais quarante ans.
Je serai mort avant cet âge
Et, vraiment, je ne fus pas sage
De boire et de fumer autant ;
Car moi-même, si je m’entends
Tousser et m’essouffler sans cesse,
Si je sens mon cœur qui s’oppresse,
Je vois bien qu’est fini mon temps.
Mais je ne vais pas me renier.
Or, depuis que je suis un homme
Je crois que le monde est la somme
De mille hasards éparpillés ;
Je n’ai donc personne à prier
Si je retourne à la nature
Après une courte aventure
Qui ne m’a point émerveillé.
Mais je veux faire ma valise
Et non partir négligemment,
Ceci, donc, est mon testament
Je l’écrivis pour qu’on le lise ;
Et je suis sain, quoique l’on dise,
Sinon de corps, du moins d’esprit
Qu’on respecte donc cet écrit
Quand de bois sera ma chemise.
Je me nomme Philippe Yves Marie Rommel,
Né le vingt-sept septembre en l’an soixante deux
De ce siècle barbare, insolent et hideux,
A Versailles, tout près du palais éternel.
Je suis célibataire et sans postérité,
Je suis un prénom seul sur la branche de l’arbre
De ma grande famille, et la plaque d’un marbre
Sera bientôt mon seul papier d’identité.
Pour mon enterrement, si l’on veut une messe,
J’y consens. Que m’importe après tout ? Dans les cœurs
Je ne veux que la paix qu’a laissée le Seigneur
Au moment qu’il nous fit sa dernière promesse.
Qu’on partage mes biens entre tous mes neveux
Qu’ils soient déjà vivants ou bien encore à faire,
Faites que les enfants de mes sœurs et mon frère
Soient heureux puisque moi je suis mort. C’est mon vœu.
Qu’on m’épargne surtout de me réduire en cendres.
Horreur ! Ignominie ! Je marchais, bien vivant,
Je ne veux pas finir poussière dans le vent
Condamnée à toujours errer, puis redescendre.
Je veux reposer dans la terre
De ce pays que j’aime tant,
Près des bois et près des étangs,
Près des chênes et des fougères ;
Je veux dormir sous le calvaire
De Saint-Viâtre, près du Beuvron,
Au pays des vols de hérons,
Dans la Sologne de mon père.
J’étais un loup dans la forêt
Qui menait sa traque subtile,
Mais un chien errant dans la ville
Trop loin de son pays secret ;
Et, vraiment, je regretterai
Le sable gris, les marécages,
Les joncs verts, les canards sauvages
Et les brumes qui s’étiraient.
Mais que s’envolent les faisans
Quand je serai dessous la pierre !
Et qu’ils rejoignent la lumière
Sans craindre le chasseur gisant ;
Que les pies aillent jacassant
Que l’homme est dans le cimetière,
Que les perdrix fassent les fières
Et que coulent sans fin les ans !
*
Enfin, doucement, je souhaite
Que l’on m’édite à petit prix
Pour qu’on dise : « Il était poète,
« Voici la fleur de son esprit. »
Que vive ma parole,
Si mon corps se décharne et pourrit
Si ma chair se dissout, si mon âme s’envole
Que restent mes écrits !
Je voudrais que plus tard, un vieux sage,
Au coin du feu, les soirs d’hiver,
Se délasse en lisant quelques pages
Où chanteront mes plus beaux vers.
Si brûle aussi mon livre
Je serais malheureux en enfer,
Je ne veux pas savoir que j’étais un homme ivre
Qui parlait au désert.
Mais l’alcool que j’ai bu s’évapore
Et je recouvre ma raison ;
Il me reste du temps encore
A vivre seul dans ma prison.
Je n’ai pas atteint l’âge
Où l’on voit s’approcher l’horizon,
Je peux écrire encore, à force de courage
Trois ou quatre saisons.
Ne suis-je pas vivant ?
J’ai fait rire tantôt une blonde
Et mon cœur ébloui s’en alla tout rêvant
D’émerveiller le monde.
Si mon âme n’est pas inféconde
Et si mon cœur n’a pas séché,
J’écrirai des chansons et des rondes
Sur les amours que j’ai cherchés !