Les femmes (2)
Les hanches
Elle avait de bien belles hanches
Qu’elle dandinait par moments
Et que moulait élégamment
Un corsaire de toile blanche.
Souples et vifs semblaient ses reins
Et jusqu’à sa fière cambrure
Se répandait sa chevelure
Aux rêches et sauvages crins.
C’était une taverne glauque
Que la fumée environnait ;
Elle était seule et fredonnait
Un doux refrain d’une voix rauque.
Comme des loups, les yeux brillants,
Nous avions formé notre ronde
Autour de cette unique blonde
Nous, les mâles au cœur vaillant.
Par instants, nous bombions le torse
En pensant qu’aurait sa faveur
Celui qui ferait le plus peur
Ou qui lui prouverait sa force.
Mais, solitaire cette nuit,
Elle dansait, belle et farouche,
Et sa langue humectait sa bouche,
Et son sein se gonflait d’ennui.
Alors parut une autre fille
Qui l’aborda tout simplement
Et qui lui dit, d’un ton aimant,
A l’oreille quelque broutille.
A sa taille, elle mit sa main,
A la façon d'une courroie
Et l’emmena comme sa proie
Dehors, par de secrets chemins.
Et ces deux femmes s’en allèrent !
Nous fûmes si désappointés
Que pour oublier leur beauté
Nous bûmes des tonneaux de bière.
A une marchande d’amour qui tenait trop bien ses comptes
Je vous écris, l’âme incertaine,
Car je ne crois pas, vraiment, qu’il convienne,
Que je vous ennuie, avec mes regrets,
Et pourtant, voyez-vous, je voudrais
Vous parler d’un petit quelque chose
Qui me rendit un peu morose.
Je sais bien qu’il vous faut travailler
Et que ce monde est sans pitié
Mais n’avez-vous pas un peu honte
De tenir aussi bien vos comptes ?
Vous m’avez déçu, la dernière fois,
Et je fus bien triste, en rentrant chez moi,
Presque fâché contre vous-même ;
Vous savez, cependant, combien j’aime
Auprès de vous me délasser
Et tendrement vous caresser,
Jolie gazelle musulmane...
Et, bien sûr, avec vous, je me damne
Mais je n’étais pas fait pour être un saint
Et quand je baise votre sein
Le prophète, sans doute s’étonne
Mais mon âme, ravie, s’abandonne.
Or, après l’alcôve, après le plaisir,
Quand votre labeur aurait pu finir,
Et qu’il était temps que nous nous quittions,
Vous avez voulu que nous allassions
Tous les deux boire un verre en ville.
Nous partîmes, alors, bien tranquilles,
Bras dessus, bras dessous, enlacés,
Chercher un piano pour aller danser.
Et tous deux, galamment et sans feinte,
Comme deux amants, après une étreinte,
Nous avons échangé des baisers,
Et nous sommes vraiment amusés,
Egayés par la belle musique
D’une taverne romantique.
Et c’est alors que mon vieux cœur,
Enivré par ce simple bonheur,
A cru que peut-être sincères
Etaient vos tendresses légères.
Vous m’avez donc bien dépité
Quand, plus tard, vous avez compté
Cette heure aussi dans vos services.
N’étions-nous pas plutôt complices ?
Et fallait-il que fût détruit
Et vendu ce morceau de nuit ?
Cela me fut une souffrance.
Vous savez, quand nous vient l’espérance,
Il est bien rageant d’être enfin déçu ;
Mieux vaudrait n’avoir jamais rien conçu.
Et maintenant, je me demande
S’il faut vraiment que je marchande
Chaque sourire. Ont-ils un prix ?
Je ne suis, certes, pas surpris
Que vous me vendiez, sans aucune envie
Votre corps ; vous gagnez votre vie...
C’est, par malheur, votre métier
Et j’en profite le premier.
Mais si, par hasard, nous partons ensemble
Baguenauder où bon nous semble,
C’est plutôt d’un commun sentiment.
Si vous me trouvez quelquefois charmant
Et si vous voulez que je vous emmène
Danser, quelques fins de semaine,
Cela ne peut être payant
Car je ne suis plus, alors, un client,
Mais plutôt un ami de passage.
Ecoutez la parole du sage :
Tout s’achète, en ces temps de progrès,
Le bien, le mal, le faux, le vrai,
Tout se paye en monnaie qui sonne,
Et tout se vend, sauf ce qu’on donne.
Un poème
(A une marchande d’amour qui voulait un poème)
Pour me revoir un autre jour,
Pour m’accorder un peu d’amour,
Voulez-vous, vraiment un poème ?
Cette monnaie de troubadour
Depuis longtemps n’avait plus cours,
J’en étais désolé moi-même.
Vous vous donnez donc en échange
De quelques mots jolis qu’on range
En des vers sonnant assez bien ?
Cela me semble fort étrange,
Que ce caprice vous démange
Un poème, après tout, ce n’est rien.
Qu’en ferez-vous ? Votre loyer
Ne sera pas ainsi payé,
Et j’aurai baisé votre bouche ;
Le lendemain, dessous vos pieds
Vous n’aurez rien que ce papier
En quittant, fatiguée, votre couche.
Vous le voulez ? Faisons l’amour,
J’en ai fini de mon discours
Vous l’avez maintenant ce poème ;
Une autre fois, un autre jour,
Vous me direz à votre tour
Si vraiment, vous voulez qu’on vous aime.
Une partenaire
Tout seul, sans femme ni dieu,
Sans travail ni sans rien qui m’oppresse,
Je coule des jours ennuyeux
Et je ne connais, la nuit, que l’ivresse.
J’écris des poèmes soucieux
Sur le temps qui me reste sur terre
Et je rêve souvent d’autres cieux
Me faut-il vraiment une partenaire ?
J’habite un logis curieux
Que jamais un plumeau ne caresse
Et que meuble un désordre joyeux ;
Je vis dans la paille et dans la paresse.
Je hante, le soir, des lieux
Où se vendent des femmes vulgaires
Et j’y prends un plaisir délicieux.
Me faut-il vraiment une partenaire ?
Mon père devient très vieux,
Et ma mère, un jour noir de détresse,
Fut couchée au caveau des aïeux...
Quelquefois ému, sur mon cœur je presse
Un enfant qui me fixe des yeux ;
Je le rends ensuite à sa mère
Et je rentre chez moi, silencieux
Me faut-il vraiment une partenaire ?
Jeune fille à l’œil audacieux,
Nous savons tous deux que j’ai su vous plaire,
Répondez à mon cœur anxieux :
Me faut-il vraiment une partenaire ?
A Marie
Marie, nous partirons ensemble, si tu veux,
Noyer d’un flot d’oubli nos peines vagabondes ;
Nous prendrons un logis pour nous cacher du monde
Et nous y dormirons dans la paix, tous les deux.
Je suis ton ami, de longtemps, de toujours,
Ne cherches-tu pas du repos, du secours ?
Je suis toujours là : veux-tu d’un troubadour
Qui meurt à demi s’il doit faire sa cour ?
Je te serai fidèle et, poète idéal,
Je sécherai tes pleurs en jouant de ma lyre :
Je t’offrirai des fleurs qui vaudront un sourire ;
Tu seras toujours belle et moi, toujours loyal.
Nous serons peureux, au début du parcours ;
Et puis j’oserai, de ton sein de velours
Percer le secret et lever les atours
Comme un amoureux inquiet du temps qui court.
Et nos cœurs étourdis diront notre avenir !
Nous qui fûmes perdus, nous aurons la vaillance
D’aller vers l’inconnu, de suivre l’espérance
D’un feu follet, la nuit, qui semble s’évanouir.
Tu veux un enfant, ma chérie, mon amour
Que tu porteras, comme un fruit un peu lourd
Et qui grandira, doucement, chaque jour ?
Moi, le cœur me fend de rêver à mon tour...
Marie, j’exaucerai le plus fou de tes vœux :
Nous donnerons la vie en faisant la promesse
D’aimer à l’infini ; tu seras ma princesse
Et moi je deviendrai ton mari, si tu veux.
Sonnet d’adieu
A force de donner sans jamais recevoir,
A force de compter les jours sans moi, d’attendre
Que je t’épouse enfin ; à force de comprendre
Que tu m’aimes en pleurs, sans retour, sans espoir,
Ton amour, épuisé de ne jamais me voir,
A fini de brûler et s’est réduit en cendres.
Et lasse, résignée, tu n’oses plus prétendre
Que mon cœur indolent daigne enfin s’émouvoir.
Et voici que, surpris de ta passion défaite,
Je me souviens de ton ardeur et je regrette...
Se peut-il que j’aimais tes élans superflus ?
Je doute. Je retourne, inquiet, dans ma retraite
Seul, mécontent, privé de ta cour indiscrète
Venant m’émerveiller d’un amour absolu.
Ballade pour Loulou
Demain, donc, je travaillerai.
Je brûlerai de la lumière.
Chaque soir, ainsi j’écrirai
Claquemuré dans ma tanière.
Je fabriquerai la matière
Des mots qui diront mon amour
Blessé la semaine dernière.
Je vous attendrai chaque jour.
Dans dix ans je triompherai
Peut-être dans cette carrière.
Dans vingt ans, ainsi, je serai
Celui qui saura la manière
De chanter les femmes trop fières
Pour vous apporter du secours.
Vous me comprendrez la première...
Je vous attendrai chaque jour.
Et puis, à la fin, je mourrai.
J’irai dormir au cimetière
Et pour toujours je me tairai.
Mais quand je serai sous la pierre
Si vous exaucez ma prière,
Je saurai faire demi-tour !
Je saurai rouvrir les paupières !
Je vous attendrai chaque jour.
Madame, seriez-vous altière
Jusqu’au terme de mon parcours,
J’espérerai ma vie entière.
Je vous attendrai chaque jour.
La fiancée
Comme une fiancée naïve, elle s’offrait
Nue et me souriant d’être si belle à voir ;
Elle entrait dans mon lit comme un ange, le soir,
Et je croyais briser son corps que je serrais.
Elle était si petite ! Elle avait des yeux noirs
Et brillants qui cherchaient à percer mon secret ;
Car elle était curieuse et voulait fort savoir
Si nos vies, simplement pour toujours, s’uniraient.
Sur son sein, dans ses bras, je disais quelque chose...
Elle, vraiment éprise, ouvrait sa bouche rose
Et buvait ma parole ainsi qu’une promesse.
Mon Dieu ! Je ne veux pas connaître le bon compte
Des ans qui sont passés, alors que je raconte
Cette histoire vécue au temps de ma jeunesse.
Toute nue
Du temps de nos amours me revient ce regret
Que vous fussiez si prude, ainsi qu’une ingénue ;
Une fois seulement je vous vis toute nue
Sinon, vous me cachiez ce corps que j’adorais.
Vous étiez jeune alors, vous aviez des secrets...
Même au lit vous gardiez un peu de retenue,
Alors que nous allions vers la date inconnue
Et vers l’instant fatal qui nous divorcerait.
Vraiment, j’aurais voulu vous aimer davantage,
Que mon cœur ne fût point si léger ni volage,
Qu’il se donnât à vous, qu’il vous prît plus de nuits.
Peut-être seriez-vous devenue plus ardente
Et peut-être ma vie eût été différente
Et libre du remords qui maintenant la suit.
Ballade étrange
Ce soir, m’amour, j’ai de la peine
C’est pourquoi, le coeur gros, je t’écris ;
Ma plume vers toi toujours me ramène,
Ma bien aimée, au sein fleuri ;
Quand je me sens vieux, malade ou meurtri,
Je pense à ma femme égarée
Que vraiment j’aime et je chéris.
Or jamais je ne t’ai rencontrée.
Qui donc es-tu, ma souveraine ?
Es-tu riche ou bien sans abri ?
Es-tu blanche et ronde ou pauvre africaine ?
Et tes enfants, qui les nourrit ?
J’aurais tant voulu qu’ils poussent des cris,
En voyant ma maison décorée,
Pour la Noël, ils auraient ri...
Or jamais je ne t’ai rencontrée.
Mais connais-tu l’histoire vaine
Que rumine sans fin mon esprit ?
Si Dieu le voulait, la saison prochaine,
Je te verrais en plein Paris ;
Nous serions tous deux cloués et surpris ;
Tu serais la première effarée
Que je devienne ton mari ;
Or jamais je ne t’ai rencontrée.
Ma douce princesse, habillée de gris,
Et de toutes les grâces parées,
L’amour en moi n’est pas tari
Or jamais, je ne t’ai rencontrée.
L’abîme
Lorsque je vois des amoureux
Qui se parlent dans l’ombre à voix basse
Qui se cajolent, bienheureux,
Qui joignent leurs mains et s’embrassent
Tout indifférents à ce qui se passe,
Je me surprends à bien souffrir,
Un sanglot tout à coup m’opprime
Et me revient le souvenir
D’un adieu, d’une étreinte ultime
Qui s’est évanouie dans un grand abîme.
Des ans coulèrent, si nombreux
Qu’ils ont effacé les traces
De mes serments aventureux ;
Se peut-il qu’autrefois j’aimasse ?
Que mon cœur s’éprît, qu’il eût cette audace ?
Je me retrouve à dépérir
Comme un moine au triste régime
Qui se morfond en repentir
D’un péché d’une faute maxime
Qui s’est évanouie dans un grand abîme.
Je suis un homme ténébreux
Que les rires des femmes agacent
Et chaque soir, je songe creux
En buvant un alcool sans glace,
Sans qu’on m’importune ou qu’on m’embarrasse ;
Et je n’ai plus d’autre loisir
Que guetter ces instants infimes
Où semblent juste retenir
Deux amants une idée sublime
Qui s’est évanouie dans un grand abîme.
Ô temps brutal, mon avenir,
Seras-tu quelque fois magnanime ?
Et feras-tu ressurvenir
Cet émoi, cette joie bellissime
Qui s’est évanouie dans un grand abîme ?