Le rythme des vers courts



         Est-il possible de fonder une versification sur d’autres principes que ceux que suivit la poésie française tout au long de son histoire? C’est ce que j’ai tenté de faire dans beaucoup de poèmes que je présente sur ce blog.
 

 

Pour expliquer mes recherches, je parlerai d’abord des vers courts.

 

1) La versification syllabique, l’octosyllabe

 

Selon la tradition de la poésie française, un vers est défini par un nombre de syllabes, sachant que tous les vers d’un même poème, sauf exceptions, sont de la même longueur.

Ce principe a pour conséquence que les accents toniques ou grammaticaux, ainsi que les éventuelles coupes composent des figures remarquables à l’oreille.

 

Etudions, par exemple, ce poème célèbre de Ronsard :

 

Mignonne, allons voir si la rose              2-3-3
Qui ce matin avoit desclose                   4-4
Sa robe de pourpre au Soleil,                2-3-3
A point perdu ceste vesprée                  4-4
Les plis de sa robe pourprée,                2-3-3
Et son teint au vostre pareil.                   3-2-3

Las ! voyez comme en peu d'espace,     1-2-3-2
Mignonne, elle a dessus la place             2-6
Las ! las ses beautez laissé cheoir !       1-1-3-3
Ô vrayment marastre Nature,                    3-2-3
Puis qu'une telle fleur ne dure                   6-2
Que du matin jusques au soir !                 4-4

Donc, si vous me croyez, mignonne,      1-5-2
Tandis que vostre âge fleuronne             2-3-3
En sa plus verte nouveauté,                     4-4
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :          2-2-4
Comme à ceste fleur la vieillesse           5-3
Fera ternir vostre beauté                         4-4

 

 

11 vers sur 18 sont remarqués par l’oreille :

6 font entendre un système de trois accents, qui ne sont pas tout à fait régulièrement espacés : 2-3-3, 3-2-3 ou 3-3-2.

5 sont construits en deux parties égales 4-4.

Les 7 autres n’ont rien de particulier.

 

Ce résultat n’a rien d’étonnant. Les accents toniques reviennent  assez souvent dans la langue française pour que, dès lors que des segments de phrases sont enchâssés dans un gabarit de 8 syllabes, les deux formes remarquables 4-4 et 2-3-3 apparaissent fréquemment.

 

Nous postulerons que le rythme d’un poème consiste précisément dans ce phénomène.

 

2) La versification rythmique

 

Or, il est possible d’obtenir un résultat analogue en procédant de façon inverse : définir à priori les figures remarquables – et leurs emplacements – et ne pas se soucier du nombre de syllabes du vers.

 

Par exemple faire alterner des constructions binaires 4-4 avec d’autres, à trois temps, qui pourront être de la forme 3-3-3 ou 2-3-3 voire 2-3-2. Le poème « Les blondes » est écrit de la sorte :

 

J’aime les blondes, un peu rondes                  4-4

Et qui tendent leurs seins vers le monde ;      3-3-3

Elles se plaisent, ingénues                               4-4

A montrer qu’elles vont presque nues             3-3-3

Sous la jupette vagabonde.                              4-4

 

Leurs bouches roses, jamais closes                4-4

Toujours disent un peu quelque chose,            3-3-3

Mais ne demandent qu’un baiser                     4-4

A celui qui saura l’oser                                       3-3-2

Et que sans cesse elles supposent.                 4-4

 

Les femmes brunes, sont chacune                  4-4

De l’humeur affolée de la lune ;                        3-3-3

Mais les Vénus aux cheveux d’or                     4-4

N’ont pas d’autre souci que leur corps            3-3-3

Qu’elles confient à la fortune.                            4-4

 

Intelligentes ou savantes,                                  4-4

Les femmes sont moins charmantes.              2-3-2

J’aime les blondes, l’œil rêveur                        4-4

Qui recherchent un mâle sans peur                 3-3-3

Pour commencer la longue attente                  4-4

 

Qui fera naître, dans la ronde,                           4-4

Un matin, dans un cri triomphant,                      3-3-3

Un nouvel être, dans le monde                          4-4

Une fille, un garçon, un enfant                            3-3

Mûri dans leurs formes profondes.                    2-3-3

 

J’aime les blondes, un peu rondes...               4-4

 

On voit que les premiers, troisièmes et cinquièmes vers de chaque strophe sont symétriques 4-4, à une exception près, et que les autres contiennent trois accents, espacés parfaitement : 3-3-3, ou imparfaitement : 2-3-3, ou 2-3-2. Leur nombre de syllabes est donc variable : 9, 8 ou 7. 

 

Mais le problème qui surgit alors est qu’il devient impossible d’introduire dans le poème des mots d’une certaine longueur. En effet, leur accent tonique risque de se trouver distant du précédent de plus de quatre syllabes, surtout si un article s’interpose. L’expression « une partenaire », ne peut ainsi pas être placée dans un vers 4-4 et moins encore dans un 3-3-3. D’où, bien sûr, l’idée d’ajouter la forme 5-5 aux combinaisons définies à l’avance :    

 

Tout seul, sans femme ni dieu,                                  2-2-3

Sans travail ni sans rien qui m’oppresse,                         3-3-3

Je coule des jours ennuyeux                                      2-3-3

Et je ne connais, la nuit, que l’ivresse.                      5-5

J’écris des poèmes soucieux                                    2-3-3

Sur le temps qui me reste sur terre                           3-3-3

Et je rêve souvent d’autres cieux                               3-3-3

Me faut-il vraiment une partenaire ?                                   5-5

 

Le poème en entier

 

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