Les êtres

La sapinière

 

Ils étaient les seigneurs de la sombre forêt,

Et leurs cimes cherchaient très haut la lumière ;

Mais ils sont abattus. Sans pitié ni regrets

Les bûcherons ont tronçonné la sapinière.

 

Et les fûts, épars, ébranchés à peu près,

L’un sur l’autre entassés, gisent dans la poussière ;

A l’endroit où ces mats orgueilleux s’effondraient

S’est arrondie, vaste et navrée, une clairière.

 

Ils laisseront une dernière trace vaine

Quand on les traînera tout au bout d’une chaîne,

Puis l’odeur de résine, âcre s’évanouira.

 

Au printemps pousseront des plantes faciles :

Des genêts, des fougères, des arbres graciles,

De petits pins, qui fièrement, tendront les bras.


 

Le chêne

 

Vieux chêne rugueux des druides gaulois,

Colonne de pierre à la belle droiture

Qui soudain s’épanouit en royale ramure,

Père des arbres, de mon peuple et de mes rois !

 

On rendait la justice à ton ombre, autrefois,

Tu savais condamner le crime et l’injure

Et tes feuilles dorées ornaient la coiffure

Des généraux et des préfets sauvant nos lois.

 

Tu connus la haine et la honte éperdues

Les enfants livrés et les femmes tondues,

A coups de hache, on t’abattit en ricanant !

 

Que revienne pourtant un rayon d’espérance,

Je serai le premier à planter pour la France

Dans la broussaille, un jeune chêne frissonnant !


 

 

Les bouleaux

 

 

Dans les terres mouillées les bouleaux frémissent ;

Ils sont frêles et blancs, rassemblés et peureux,

Les plus jeunes sont beaux, fins, l’écorce lisse,

Mais les plus vieux, striés de noir, sont presque affreux.

 

Les grands arbres les tuent dans un long supplice :

Pour trouver du soleil dans les bois ténébreux

Ils se tordent en vain puis, tombés, ils pourrissent ;

Mais dans les plaines, près des eaux, ils sont heureux.

 

Or leur race chétive et modeste est féconde,

Ils poussent, têtus, à travers le monde,

Tous les pays font des fagots de leurs cheveux.

 

Les bons bûcherons d’un seul trait les coupent,

Et l’hiver, dans l’âtre, ils allument le feu.

Mais dans les clairs renaît bientôt la jeune troupe.




Les canards

 

 

Au-dessus des pays où s’étendent les eaux

Quand la lune se lève et blanchit tout l’espace

Dans le ciel cotonneux et gris, des oiseaux

Volant tout droit, le cou tendu, brusquement passent.

 

Ils découpent la nuit comme font des ciseaux;

On entend le bruit sourd de leurs ailes qui brassent

Le brouillard. Ils s’en vont, par-dessus les roseaux

Et leurs silhouettes diminuent et puis s’effacent.

 

Ils nous quittent hautains, sans nous voir, sans regrets,

Pour rejoindre une mer, un grand fleuve, un marais,

Une Amérique, au loin, par-là, d’autres rivages...

 

Ils forment un V pour briser le vent

Et nous fuient, obstinés, mystérieux, décevants

Comme des gens jamais lassés de leurs voyages.

 

 

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L’écureuil

 

L’écureuil, petit lutin roux, s’agite ;

De branche en branche, il saute, luron,

Ou descend à terre et remonte bien vite,

La tête en bas, le tête en haut, le long du tronc.

 

Son museau pointu s’inquiète et palpite,

Ses yeux sont perçants, tout noirs et bien ronds,

Sous ses griffes les feuilles mortes crépitent,

Car c’est l’automne, il est grand temps d’être un peu

prompt.

 

Il court et sa queue ondule, il furète;

Car l’hiver, il dort parmi les noisettes

Qu’il a trouvées dans la forêt ; sinon il meurt.

 

Il emporte des grains dans ses belles bajoues

Il se presse, il s’affaire, on dirait qu’il joue,

Cet acrobate aux mille tours, en fait a peur.

 

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Le cerf

 

Lorsque vivait encore mon grand-père

Chaque printemps passait sur notre terre

Un cerf, un beau dix-cors des alentours

Qui ne restait chez nous que quelques jours.

Son pied laissait sa marque sur le sable

En la suivant, jadis, j’étais capable

De découvrir par quels chemins secrets

Il traversait dans la nuit la forêt.

Un jour, chanceux, je le vis dans les herbes,

Il m’aperçut et s’en alla, superbe.

Et, bienheureux, je trouvais quelquefois

Comme jetés dans un buisson, ses bois.

 

Il ne vient plus. Les taillis ont poussé,

Tous ses chemins secrets sont effacés

Et mon père a coupé la sapinière

Qu’il traversait pour joindre les bruyères.

Peut-être passe-t-il plus loin, ailleurs...

S’il était mort ? tiré par un chasseur

Qui ne rêvait que de prendre un trophée.

A quelque mur sa tête est accrochée.

Ou même, grelottant dans un buisson,

Vieilli, malade, une froide saison,

A-t-il fermé les yeux sous la souffrance

Et les renards ont dévoré sa panse.

 

Qu’est-il devenu ? Ce cerf est passé

Dans mes jours d’enfant ; il ne m’a laissé

Qu’un beau souvenir mêlé de tristesse ;

Il s’en est allé comme ma jeunesse

Sans marquer longtemps le sol de ses pas.

Le grand beau dix-cors ne reviendra pas.
 

 

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Le vieux sanglier

 

 

   

Retranché dans un fort de fourrés épineux,

Solitaire et chagrin, farouche, il se cache ;

Dans la nuit brille noir son œil soupçonneux,

Au fond des bois, gîte en secret le vieux pigache.

 

Sous la pluie, il rumine un rêve haineux,

Et sans fin, morose, une ronce il mâche,

En grognant quelquefois un juron caverneux

Si quelque chose, autour de lui, soudain le fâche.

 

Mais craque, suspect, un bruit ? Il s’arrête...

Il se tend, il doute, guette et s’apprête

A débouler en grand fracas dans la forêt.

 

Ce n’est qu’un chevreuil ; un moment il bougonne...

Puis replonge apaisé son boutoir monotone

Dans une mousse au long arôme de regret.

 

 

 

 

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