Le rythme des vers longs



Parlons maintenant des vers longs

1) La versification syllabique : le décasyllabe, l'alexandrin 

Dès que le nombre de syllabes augmente, les chances de produire un rythme diminuent. En effet, le chiffre 8 peut se diviser en deux parties égales : 4-4 ou en trois inégales : 2-3-3, et nous avons vu que la place des accents dans notre langue faisait revenir souvent de telles figures. Il peut encore produire des répartitions quelconques : 5-3, 6-2 etc. Mais le chiffre 12 se prête à de bien plus nombreuses combinaisons si bien que celles que l’oreille remarquera risquent d’être rares. Une phrase de douze syllabes ne fera souvent rien entendre de particulier.

Par exemple, dans la préface de son anthologie de la poésie française, Gide blâme ce vers de Francis Jammes :

« Pendant que la neige lourde tombait dehors. »

La césure pallie ce défaut en augmentant les chances de provoquer une disposition remarquable des accents. Cet instrument, fort mal nommé puisqu’il évoque une coupe, impose une place fixe pour un accent tonique : dans l’alexandrin, la sixième syllabe et dans le décasyllabe, la quatrième. Dès lors, les chances de créer une figure rythmique augmentent considérablement.

 

Le décasyllabe

 

Ce vers fait entendre le plus souvent trois figures : 4-3-3, 4-2-4, 4-4-2. Le système final 3-3 est symétrique, de même que le système initial 4-4 ; la figure 4-2-4 est équlibrée.

 

Frères humains qui après nous vivez                          4-4-2
N'ayez les cœurs contre nous endurciz,                      4-3-3
Car, se pitié de nous pauvres avez,                            4-3-3
Dieu en aura plus tost de vous merciz.                        4-4-2

Vous nous voyez cy attachez cinq, six                         4-4-1-1
Quant de la chair, que trop avons nourrie,                   4-4-2
Elle est pieça dévorée et pourrie,                                 4-3-3
Et nous les os, devenons cendre et poudre.                4-4-2
De nostre mal personne ne s'en rie :                            4-2-4

Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre!       4-2-4

 

(Villon)

 

Cette façon de toujours commencer par un groupe de quatre syllabes  peut sembler monotone mais il faut noter deux points :

 

            1) La césure lyrique, qui consiste à placer un e sourd sur la quatrième syllabe n’est pas rare chez les poètes du XVème siècle. Charles d’Orléans en fait même le refrain d’une de ses balades, signe qu’il ne la juge pas malsonnante :

 

« De voir France, que mon cœur aimer doit »

 

Mais on trouve un tel tour chez Paul Valéry :

 

« Rompez, vagues, rompez d’eaux réjouies »

 

On peut conjecturer que l’accent sur la quatrième syllabe est alors remplacé par une longue pause.

 

2) Il arrive que le rythme soit plutôt 6-4 que 4-6

 

C’est encore flagrant chez ces deux mêmes poètes :

 

« Destourbé m’a longtemps, soit tort ou droit » (Charles d’Orléans)

« La scintillation sereine sème » (Valéry)

 

D’où l’idée d’écrire des poèmes en faisant alterner le rythme 4-6 et le rythme 6-4. Le solitaire et le vieux tracteur sont écrits de la sorte.

 

Enfin, en plaçant la césure sur la cinquième syllabe, on obtient le vers symétrique 5-5, inventé, semble-t-il, au XIXème siècle : 

 

« Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères » (Baudelaire)

 

 

 

 

 

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